Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
lapresguerre.over-blog.com

Blog historique sur la fin de la seconde guerre mondiale et l'immédiat après guerre. Je commence là où trop de livres d'histoire s'arrêtent. Je suis l'auteur des articles sauf mention contraire lapresguerreATyahoo.com

quatre jours à saint étienne - 16 mai 2019 - les tondues - guerre au silence

16 mai. Deuxième jour à Saint Etienne. Une amie m'accompagne pour voir "les tondues" la pièce autour de laquelle s'est construite la semaine d'animations à Saint Etienne. Nous arrivons sur la place Garibaldi dans le quartier du Soleil, nous attendons dans un café en face de l'église.

Peu de temps avant l'heure dite, nous nous mettons en marche avec les autres spectateurs puis nous nous asseyons par terre.

La chanteuse Murielle Holtz arrive sur un piano roulant.

Ensuite vient la narratrice, Périne Faivre qui se charge de faire l'introduction

" - enfant avez vous senti l'odeur des bombes avant celle du gâteau au chocolat ?
à peu de chose près on est compté parmi les victimes ou les personnes qu'on tire à bout portant comme un chien.
le temps fera t'il de nous des héros, des salauds, des badauds ?

- des vraies histoires complétement fausses, des fausses histoires vraies
çà vous colle à la peau comme mille ans d'infortune et çà vous bouffe de l'intérieur
les tondues, une histoire ancienne ? pas sûr"

Pendant ce temps, des personnes de la compagnie passent parmi les spectateurs et leur distribuent au hasard une lettre bleue, ou une lettre blanche, ou une lettre rouge.

Périne Faivre présente les trois personnages
Marie
Madeleine
Marc

puis elle mentionne des courriers reçus par
Madeleine
Marc
Marie

et révèle la couleur des ces lettres, qui assigne de fait une couleur à chaque personnage

"Marc et sa lettre bleue,
Mado et sa lettre rouge,
Marie et sa lettre blanche"


en nous invitant à suivre notre enveloppe.

Blanc, rouge, bleu / rouge, bleu, blanc / bleu, rouge, blanc : la citation des personnages par la narratrice ne respecte pas l'ordre des couleurs du drapeau français, d'abord le drapeau se déstructure par la citation des personnages dans un désordre précis, ensuite il se divise par la séparation du public en trois groupes suivant chacun un personnage. Ensuite le public sera à nouveau réuni et à ce moment là, lorsque les non-dits, la stigmatisation et la misogynie d'hier et d'aujourd'hui auront été dénoncés le bleu, le blanc et le rouge seront cités dans l'ordre.

Cela rappelle la postérité des tondeurs et de ceux qui les ont aidés ou laissés faire : ils ont cru unir pour la France, mais ont bien au contraire semé le désordre et divisé au nom de la France et ont pour finir, uni la France contre eux.

Le sort m'a fait suivre la lettre blanche, celle du notaire reçue par Marie Têtu

Marie qui ne sait pas quoi faire de sa colère parle d'abord au téléphone ou au digicode, dans un premier temps la distance ou un mur se dresse entre elle et les autres et elle a bien l'intention de l'abolir

"mais, c'est quoi cette famille de merde toujours à déblatérer des conneries sur tout le monde et pas à parler des choses importantes qui concernent notre famille!
et comment je peux avancer si on ne parle même pas l'histoire de la famille !"
"ah non je vais pas te lâcher maman, je veux tout savoir ! alors qu'est ce qui s'est passé ensuite ?
ah ouais, même là tu te défiles ! "

Périne Faivre réapparait pour réunir les personnages et inviter les spectateurs dans l'histoire

"Marc - qui vous êtes vous ?
Périne - celle qui vous regarde, avec vos histoires de familles de tondues, vous les avez pas vus tous ces gens qui vous suivent depuis une heure ! cette histoire de tondue, c'est pas un sac pour vous trois, c'est nous tous qui portons la valise, si vous vous mettez à parler météo que que le silence se met à l'emporter on en fait quoi !
Marc - comment vous m'appelez Marc, je vous connais pas, personne n'a remis les pieds à Saint Etienne depuis 1945, vous savez ce que je vais faire, je vais la retrouver, la ferme de la honte, la ferme de la tondue, je vais tout brûler, je vais retrouver les tondeurs et les collabos et les fachos, çà va être le grand nettoyage, je vais fracasser les tiroirs fermés à clé depuis 70 ans, je vais tuer les fantômes je vais secouer les petits vieux comme des pruniers je vais faire fumer les archives de la mairie, je vais me venger"

Depuis les années 90, le thème de la vengeance est habituellement exploité par les oeuvres de fiction traitant des femmes tondues ou des personnes injustement tuées par des résistants. (1)

Symptomatique de la crainte de la vengeance des victimes des collaborateurs aussi bien que des résistants ressentie par les autorités ? Mais comment pouvait il en être autrement en présence de lois d'amnistie fermant les voies judiciaires ?

Périne Faivre s'attaque ensuite aux non dits :

" - c'est trois histoires parmi vingt mille, dix neuf mille neuf cent quatre vingt dix sept familles qui  bataillent, des milliers de fils et petits fils qui tentent de démêler une histoire

 - de peur, de colère, de cauchemar qui hante les nuits, des hontes qui se refilent comme des patates chaudes entre ceux qu'ont coupé les cheveux, ceux qu'ont regardé couper les cheveux ... des milliers de lettres jamais écrites ou envoyées trop tard, déchirées , délavées ? illisibles, des milliers de pages qui attendent aux archives où il n'y a même plus de chats pour bouffer les souris, des archives en béton qui suintent sans soleil, perdu les yeux à lire et à imaginer, mon histoire de tondues"

au processus de mise en place d'un bouc émissaire :

" - des pages et des pages qui se taisent et qui racontent comment le bleu blanc rouge et retrouvé sa fierté à coups de ciseaux et de rumeurs."

et à la misogynie :

" - tant que le monde n'est que territoire à reprendre, tant que les corps ne sont que des territoires, tout çà c'est aujourd'hui, alors pourquoi encore parler d'elles , parce que les sorcières çà parle encore, j'ai pas eu le courage qu'elles ont d'être mauvaise penseuse, nageuse à contre courant, libre, normale, normée, bonne à l'école ... pas sorcière, pas tondue, pas des leurs ... traitre et courageuse .... nous sommes rassurés de sacrifier quelques femmes toutes les centaines d'années au creux de nos bûchers, je n'ai pas de morale, pas de conclusion, pas de leçon"

Il y a pourtant une conclusion à tirer, la parole est le terrain de guerre des femmes et cette pièce a déclaré la guerre au silence

(1) - L'Instit' : épisode « L'angélus des corbeaux », scénario d'Alain Scoff 1993
- Épuration, Jean-Louis Lorenzi, 2007

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article