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Blog historique sur la fin de la seconde guerre mondiale et l'immédiat après guerre. Je commence là où trop de livres d'histoire s'arrêtent. Je suis l'auteur des articles sauf mention contraire lapresguerreATyahoo.com

un certain 4 août à Monterfil

Le 4 août 1789 a vu l'abolition des privilèges c'est à dire des lois réservées à certains groupes particuliers, des lois privées (1),la loi était désormais universelle. Pourtant, le 4 août 1944, 155 ans après cet acte fondateur de notre système juridique, Monterfil a vu les effets du rétablissement d'une loi privée. En dépit du rétablissement formel de la légalité républicaine, la féodalité a momentanément repris le dessus.

Ce 4 août 1944 Marie Guillard, âgée d'une cinquantaine d'années, sa fille Germaine, 21 ans, et Suzanne Lesourd, 25 ans détenues à la gendarmerie de Montfort sur Meu, sont exécutées après avoir été soustraites aux gendarmes par un groupe de gens armés mené par un lieutenant "Legoff" qui les ont ramenées à Monterfil. Selon d'autres sources les trois femmes ont été remises à ce groupe par un adjudant de gendarmerie en l'absence de son supérieur hiérarchique, le capitaine Jubin. (2)

"elles arrivent au château du Logis, demeure de Louis-Gabriel Oberthür, maire de la commune. Elles subissent encore les pires sévices perpétrés par des personnes folles de haine et d'alcool." (3)

Elles sont frappées,tondues, exposées en plein soleil, on leur demande de creuser leur tombe.

"après un simulacre de tribunal d’exception dans la nuit, à l’insu de la hiérarchie militaire, et profitant de l’absence du capitaine Jubin, appelé à Rennes par l’état-major américain pour les modalités de remise à la police des miliciens arrêtés et des femmes tondues, le lieutenant L.O. [Louis Oberthur] convaincu de la culpabilité de ces trois femmes en était devenu fou et sous l’empire de l’alcool les a condamnées à être pendues. Elles auraient été emmenées au petit matin en charrette à cheval dans le bois de M. Oberthur"(2)

Elles sont pendues et comme la mort n'arrivait pas assez vite, dépendues et tuées à coups de pelle.

Tout ceci se produit, malgré une tentative d'intervention du père de Lucette Rosty âgée de 3 ans en 1944 et membre du collectif qui a organisé la marche blanche de 2014 dont nous parlerons plus loin. (4)

Qui est Legoff ? Louis Oberthur  "le fils du maire, surnommé "le grand Louis". Il fut fait prisonnier en 1940 lors de la débâcle, envoyé en Allemagne et revenu mystérieusement en 1942, alors qu'il n'était pas soutien de famille, mais bénéficiant sans doute de la position pétainiste de son père. Celui-ci avait reçu dans sa mairie le préfet Ribert, réitérant son total soutien au Maréchal, des écrits de sa main en font foi. Un écrit d'une femme, amenée à côtoyer certaines personnes ayant subit les sévices des tortionnaires du sous-sol du château, accrédite cette idée: faire disparaître au plus vite ces 3 témoins qui en savait trop sur la vie du château qu'ils connaissent bien. (...)
Considéré par la vrai résistance comme étant un faux résistant; toutes les recherches entreprises le prouvent. Bénéficiant de la complicité et de la notoriété de son père, 39 ans maire, grand propriétaire terrien sur la commune et ayant bénéficié d'une loi d'amnistie en 1950."
(3)

Le crime de ces trois femmes ?
1 ) avoir été aides cuisinières dans le camp de transmissions de Monterfil que les Allemands ont fait sauter avant d'évacuer la zone, ce qui leur a valu d'être arrêtées par les gendarmes qui s'apprêtaient à les libérer selon certaines sources (5) ou les gardaient à la gendarmerie de Montfort dans l'attente de leur procès selon d'autres sources (2)
2) avoir couché avec les Allemands et dénoncé des résistants. Cependant:
- sanctionner les rapports sexuels avec des étrangers est incompatible avec une démocratie moderne en particulier lorsqu'elle se réclame de la lutte contre un régime politique basé sur la discrimination raciale.
- comment prouver une dénonciation ? Comment identifier sans risque d'erreur un auteur de dénonciation ?

Quoi qu'il en soit, l'exécution des présumées coupables éteint l'action publique à leur encontre et leur interdit de prouver leur innocence. Elle empêche la venue d'un regard extérieur sur les affaires internes du village et impose le silence.

Un long cheminement vers la justice se prépare.

Les auteurs de l'exécution ont bénéficié d’un non-lieu en 1945. (5)

Cependant Alfred Guillard, mari et père de deux victimes porte plainte, une enquête est ouverte, six hommes sont identifiés (2) (3) Ouest journal , le futur Ouest France en parle

"Pourquoi ces femmes furent-elles livrées aux bourreaux de la fausse Résistance pour être martyrisées et promenées à travers le pays, et enfin pour y subir le trépas dans le bois Oberthur ? Pourquoi le chef de la gendarmerie de Montfort prit-il sur lui cette effroyable responsabilité ? Nous posons la question, bien décidés à obtenir une réponse, qu’on le veuille ou non. On ne nous fera pas taire…" (6)

"Ces 3 femmes auraient été arrêtées par la Résistance et incarcérées à la gendarmerie de Montfort en attente de leur procès. Pourquoi sont-elles été remises par l’adjudant Le Quinquenel à l’envoyé du lieutenant F.T.P. Louis Oberthur alors qu’elles attendaient qu’une instruction judiciaire régulière soit ouverte contre elles." (ouest journal 30 10 49) (2)

Mais le procès est interrompu en 1951 par le vote d'une loi d'amnistie. (4) (3) (7)

L'amnistie a renforcé le sentiment d'impunité au point que "les auteurs du triple assassinat ne se cachaient pas. «J'ai connu ceux qui ont participé à ça. J'ai même travaillé 12 ans pour l'un d'entre eux qui me l'a dit et m'a même montré les photos», témoigne Louis, le neveu de Marie Guillard." (4)

Cette impunité ne se limite pas à Monterfil, à Lyon par exemple :

"Bien qu'une circulaire de la Chancellerie ait rappelé le caractère illégal des exécutions sommaires et des arrestations arbitraires, le garde des sceaux [François de Menthon, chrétien démocrate] considère que les actes qui se sont produits dans la période insurrectionnelle où les groupes de résistance cherchaient les derniers ennemis et leurs complices peuvent être amnistiés puisqu'ils sont commis pour servir la cause de la France." (8)

"Les résistants ne comprennent pas le maintien en détention des auteurs puisqu'ils considèrent leurs actes légitimes au point d'en faire l'apologie." (8)

S'il est vrai qu'il y a eu une tendance à rejeter la responsabilité des actes d'épuration de voisinage sur la résistance (5), l'inverse est tout autant exact.

En effet, le sentiment d'impunité des auteurs s'accompagne du sentiment d'avoir toujours raison, de la réticence à admettre l'existence de bavures, et, lorsqu'il est impossible de les nier, du rejet de la responsabilité desdites bavures sur d'autres. Nous en voulons pour preuve l'emploi d'expressions telles que "Le lendemain 4 août, stupeur à Monterfil, une troupe régionale, se disant "résistante" se présenta sur la commune." (3) "Cette exaction abominable d’un homme devenu fou, n’a jamais été imputée à la 12ème Cie F.F.I., comme des revanchards veulent le faire croire, 70 ans après. (...) la haine, le mensonge en plus dans la légende noire de l'épuration cherchant à rendre tous les FFI responsables du crime d’un fou, fût-il FFI, relève de la diffamation."(2)

Alors que les auteurs ont été précisément amnistiés parce que leurs actes ont été considérés comme des faits de résistance ! Et nul n'a oui dire que les anciens résistants aient contesté l'application de l'amnistie aux faits dont nous parlons.

De même, ce travers ne se limite pas à Monterfil. Un article de journal de la région Rhône Alpes nous précise en effet que "les FFI ne comptent ni un seul incapable, ni un seul indigne." (9)

Le sentiment d'impunité dû au fait que les exécutions ont été considérées comme ayant été accomplies  en vue de favoriser la libération du territoire, et la circonstance selon laquelle le meneur était le fils du maire a imposé une épaisse chape de silence.

De ce silence naissent

- la peur, au point qu'Alexandre Boucard historien local âgé de 10 ans en 1944 confie «Dans ma génération, il y a encore des gens qui ont peur». (4)

- la réprobation de habitants des villages avoisinants  "«Monterfil a été montré du doigt parce qu'on est le pays des pendues. Quand on s'en va à l'extérieur, c'est connu, on a un peu honte que ça s'est passé chez nous», explique M. Boucard." (4)

- la honte des habitants du village "Les quatre soeurs Rosty ont vécu à Monterfil. Leurs parents et grands-parents également. Elles ont toujours connu cette affaire. « On n'a jamais oublié cela, on a vécu avec. Quand on était enfant, on passait toujours très vite près du chemin qui menait au bois où ont été enterrées ces trois femmes. Tout le monde l'appelait « Le bois des Pendues », se rappelle Lucette, la plus âgée." (10)

"Lors de l'exhumation en 1951 de Marie et Germaine Guillard (en ignorant Mme Suzanne Lesourd) et l'inhumation dans le cimetière d'Iffendic, simplement dans une fosse commune avec l'absence de tout signe distinctif" (2) (3)

"Le fait que le nouveau maire de la commune ne communique pas à la famille des pendues l’emplacement exact des tombes après que deux d’entre elles ont été exhumées du bois pour être inhumées dans le cimetière du village voisin est révélateur du climat qui règne dans le village au tournant des années 1950. Ceci nous conduit à proposer deux hypothèses non exclusives l’une de l’autre. En gardant le silence, le nouvel édile joue la carte de l’apaisement et évite de réveiller les passions des heures sombres de la Libération. Plus sûrement, il cherche à éviter le rassemblement de la famille et des proches des pendues afin d’honorer leur mémoire. Cette commémoration aurait probablement été vécue comme une provocation par des Monterfilois qui n’auraient pas manqué de réagir. " (4)

"Les ossements de Suzanne n'ont pas bougé." (2) Solution de facilité à l'égard d'une famille qui n'habitant pas dans le village n'était pas susceptible de se manifester fréquemment ou de concrétiser son mécontentement par un vote défavorable? Ou façon consciente ou non de punir un peu plus Suzanne Lesourd l'étrangère, réfugiée de l'Aisne alors que Marie et Germaine Guillard étaient originaires du village ?

En 1995 un hommage leur est rendu devant le monuments aux morts de Monterfil en présence des élus et des anciens combattants (3) Une brochure est également publiée.

"C'est la publication en 2013, d'un roman d'Hubert Hervé, In nomine patris, librement inspiré du drame de Monterfil, qui a réveillé les consciences. « L'auteur a été contacté par de nombreuses personnes qui se rappelaient ces dramatiques événements. Le descendant de deux de ces femmes s'est aussi manifesté », raconte Lucette. (..)" (10)

En 2014 les quatre soeurs Rosty décident de créer un collectif en faveur des pendues et d'organiser une marche blanche qui a rassemblé 70 personnes (4) qui "ont « enfin osé », en 2014, venir rendre hommage" (5)

Que veulent elles ?

"«Ce qu'on voudrait, c'est qu'elle soit exhumée, enterrée dignement et puis qu'il y ait une plaque qui reconnaisse que ces trois malheureuses sont des victimes de guerre» (4)

"« Nous voulons seulement réhabiliter moralement ces femmes, insistent Lucette et sa soeur Rachel. Nous demandons une plaque avec les trois noms ainsi qu'une mention sur le monument aux morts de Monterfil, en tant que victimes de guerre. »" (10)

Pourquoi s'engager ?

"Concernées en tant que femmes, elles le sont aussi parce qu'après le départ des soldats, leurs parents ont caché deux femmes qui avaient travaillé dans le camp allemand. L'une d'elles était la cousine de leur mère et connaissait les femmes pendues. « Elles auraient peut-être connu le même sort, si nos parents ne les avaient pas cachées. »" (10)

Le dialogue avec la municipalité d'Iffendic (10) a porté ses fruits, et le maire de Monterfil qui s'était abstenu de participer à la marche de 2014 se joint en 2016 à un hommage dans la forêt entre Monterfil et Iffendic.

Le 8 mai 2016, un hommage commun a été rendu par les communes de Monterfil et d’Iffendic une plaque a été dévoilée, sur le monument aux morts de Monterfil « En souvenir de Suzanne Lesourd, Marie et Germaine Guillard, victimes innocentes de l'épuration sauvage, le 4 août 1944. » (11)

Le 7 avril 2017 une stèle a été inaugurée dans le bois "Marie, Germaine et Suzanne ont désormais leur stèle dans le bois où elles ont été suppliciées le 4 août 1944, entre Iffendic et Monterfil, à l'ouest de Rennes. Une cérémonie intime et poignante a eu lieu vendredi matin pour réhabiliter les trois femmes." (12)

Une telle histoire n'est cependant jamais vraiment finie. En 2015 François Lesourd, le petit fils de Suzanne obtient qu'une partie du bois de Monterfil soit fouillé pour retrouver le corps de sa grand mère, sans succès, d'autre part les ossements de Marie et Germaine Guillard exhumés en 1951 et mis dans une fosse commune sont depuis lors introuvables (13)(14)

François Lesourd conclut de la sorte : "Les pendues de Monterfil sont devenues les disparues de Monterfil" (13)(14)

(1) https://fr.wikipedia.org/wiki/Privil%C3%A8ge

(2) http://memoiredeguerre.pagespro-orange.fr/ffi35/13-bavures.htm

(3) http://fnaca-monterfil.jimdo.com/39-45-une-libération-assombrie/

(4) http://www.20minutes.fr/ledirect/1426597/70-ans-apres-epuration-tabou-pendues-lezarde-a-monterfil
http://www.capital.fr/a-la-une/videos/70-ans-apres-le-tabou-des-pendues-se-lezarde-a-monterfil

(5) http://enenvor.fr/eeo_actu/wwii/jalons_pour_une_histoire_des_pendues_de_monterfil.html (article très détaillé)

(6) ouest journal 30 10 49 cité in
http://memoiredeguerre.pagesperso-orange.fr/ffi35/revue-presse.htm#LA%20RESPONSABILITE (page morte)

(7) Article 30 Amnistie pleine et entière est accordée à tous faits accomplis postérieurement au 10 juin 1940 et antérieurement au 1er janvier 1946 dans l'intention de servir la cause de la libération du territoire, ou de contribuer à la libération définitive de la France.  
Article 33 Les droits des tiers ne pourront faire l'objet d'aucune action devant les tribunaux civils à l'encontre des auteurs des actes amnistiés par l'article 30.
Le préjudice résultant de ces actes sera, le cas échéant, réparé comme résultant de faits de guerre dans les cas et conditions prévus par les lois en vigueur.
Loi n° 51-18 du 5 janvier 1951 portant amnistie, instituant un régime de libération anticipée, limitant les effets de la dégradation nationale et réprimant les activités antinationales.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000705473&dateTexte=

(8) (AN BB18 3618 CA Lyon exécutions sommaires d'individus libres procureur de la République de Lyon au procureur Général de Lyon 20 03 1945)(P1290831 à 35 Crapiz)
http://lapresguerre.over-blog.com/2018/09/3-septembre-1944-liberation-de-lyon-arrestation-de-lyonnais.html

(9) Allobroges attentats miliciens en banlieue parisienne - le travailleur alpin (PC) (06 11 44) AD 69 182 w 279

(10) http://www.ouest-france.fr/un-collectif-en-hommage-aux-pendues-de-monterfil-2742793

(11) https://www.ouest-france.fr/bretagne/ille-et-vilaine/un-hommage-officiel-aux-pendues-de-monterfil-4220348

(12) https://www.ouest-france.fr/bretagne/monterfil-35160/pendues-de-monterfil-un-hommage-emu-scelle-dans-la-foret-4913768

(13) https://www.youtube.com/watch?v=QYDr28XP8JM

(14) https://www.lepoint.fr/societe/71-ans-apres-l-epuration-les-pendues-de-monterfil-restent-sans-sepulture-15-06-2015-1936657_23.php
 

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